ROAD STORY épisode 1.
Un volant n’est pas toujours signe de frustrations, de contraventions et, pour tout dire, d’emmerdements. Quand la maréchaussée ou les bouchons ne s’en mêlent pas, il suffit d’un imprévu pour déclencher notre fureur, même si les autres automobilistes qui n’y sont pour rien, même si le pauvre passager qui se trouve à nos côtés n’a rien à se reprocher et n’a plus qu’à enfiler une paire de boules quies.
Mais parfois une voiture se transforme en véhicule, et pas seulement pour se déplacer. Un véhicule d’aventures imprévues et heureuses qui valent bien une petite série, dont voici le premier épisode.
Il y a des jours comme ça où rien ne va. Pas un de ces matins à grosse tuile, mais une conjonction de petits riens qui gâchent le quotidien. Comme cette machine à café en rade de court sucré au bureau, comme ce GPS qui tombe en panne quand Stéphanie en a vraiment besoin et qu’elle est déjà en retard pour son futur rendez-vous pro. Évidemment, ce genre d’incident ne survient pas lorsque l’on est dans un endroit civilisé, truffé de quidams susceptibles d’indiquer la route. La Fiat 500, et la jeune femme de 27 ans à son volant sont perdus dans la pampa, là ou seuls quelques ruminants peuvent les renseigner. Si tant est qu’une blonde d’Aquitaine soit familiarisée avec la topographie. Le Smartphone et son GPS encore plus précis que celui de son auto ? Bien sûr qu’elle y a pensé. Seulement voilà, lorsque l’on se retrouve dans la cambrousse en pleine zone blanche, il ne reste que ses yeux pour pleurer. Ce qu’elle fait, faisant couler son khôl pour la transformer en walking Dead illico. Alors elle roule, vers nulle part. Ou plutôt vers le clocher de ce village pas très loin. Un lieu où subsiste peut-être une trace de civilisation, une petite barre de réception téléphonique, ou un quidam susceptible de lui indiquer le chemin à suivre.
Pas l’ombre d’un réseau téléphonique à l’ombre du clocher. Mais des yeux noisettes sous des cheveux charmants ébouriffés qui toquent à la vitre de Stéphanie qui est en train d’envisager de finir sa journée en position latérale de sécurité.
Je peux vous renseigner peut-être ? Je suis guide touristique.
Stéphanie ne se demande même pas comment des touristes peuvent venir se perdre dans un bled pareil. Elle n’a d’yeux que pour le sourire du jeune homme et sort de la voiture. Et les voilà qui discutent, expliquent qui ils sont d’où ils viennent et où ils vont. Enfin où elle va plutôt. A ce rendez-vous où elle devrait être depuis une heure et dont, à ce moment précis, elle se fiche comme de sa première crevaison. Un petit cupidon s’est niché dans le clocher de la vieille église et il a visé juste.
Mais le jeune homme finit par lui indiquer la route à suivre et prend congé, comme ça, d’un simple signe de la main, sans même lui laisser un 06, sans même une promesse de rendez-vous. En fait, il s’en fout, se dit Stephanie, à nouveau en rogne. Elle claque sa portière et démarre en trombe. Direction son rendez-vous. Qui sait, même avec deux heures de retard, son client va peut-être la recevoir malgré tout.
Non seulement il l’accueille, car les visites sont rares dans le coin, mais il lui signe un bon de commande long comme un hiver dans cette région. Du coup, Stéphanie se sent l’âme d’une winneuse. Et c’est pas ce petit guide mignon qui va la snober comme ça.
Retour au village, retour au clocher. Elle attendra ce qu’il faudra. Elle y passera la journée s’il le faut, mais il repassera bien par là.
Alors, elle se gare, se cale dans on siège, fait hurler son auto-radio, chante à tue-tête comme il se doit et attend. Longtemps. Tellement longtemps qu’elle finit par s’endormir.
Lorsque Stephanie se réveille, il fait déjà sombre. Et le parvis de l’église est totalement désert. Sa mauvaise humeur est de retour. Alors elle démarre et ne pense qu’à quitter cet endroit décidément maudit. Mais le moteur reste muet. La batterie est à plat. Vidée par l’autoradio. Elle descend, ouvre le capot. Pourquoi faire ? Pour rien, par acquis de conscience, par réflexe. Mais derrière elle, une autre voiture se gare. Un gros 4×4, maculé de boue. Et cheveux châtains ébouriffés en descend.
– Encore vous ? je crois que cette fois, ce n’est pas un problème de GPS.
Elle lui explique, il ne dit rien. Mais il a ouvert le hayon de son Land Rover pour en extirper des câbles qu’il branche entre sa batterie et celle de Stéphanie. Trente secondes plus tard, la Fiat 500 démarre.
– Écoutez, j’habite à côté, venez vous réchauffer et boire un thé. Les soirées sont froides en cette saison.
Stéphanie a bu un thé, puis deux, puis ils ont diné. Elle est revenue le week-end suivant. Et revient à chaque week-end depuis un an. Elle commence à trouver ce coin de campagne tout à fait charmant. Quant à Bruno, car il s’appelle Bruno, il trouve que les week-ends ne sont pas suffisants. Alors ils vont emménager ensemble. Entre la ville et la campagne, entre les blondes d’Aquitaine des zones blanches et les rues encombrées pleines de barres de téléphone.