Interview / Jean-Loup Hubert : le réalisateur césarisé pour son film Le grand chemin, confie sa passion pour l’automobile au cinéma et dans sa vie. Rencontre avec la journaliste et romancière Anne-Charlotte Laugier.

Parfois les géographies forgent les passions. Est-ce la proximité du circuit du Mans, tout proche de la maison du Grand Chemin qui explique la passion qui lie Jean-Loup Hubert à l’automobile ? Le grand Chemin n’est pas seulement la maison de campagne où le réalisateur a écrit son chef d’œuvre et m’a donné rendez-vous, mais ce lieu-dit lui a donné le titre de son film, très autobiographique, celui qui a tout raflé : les bonheurs du public, les faveurs de la critique et la reconnaissance de l’académie des Césars avec cinq nominations : meilleur scénario, meilleur réalisateur, meilleur film, et César de la meilleure actrice décerné à Anémone, et celui de meilleur acteur à Richard Bohringer.

Le réalisateur Nantais autodidacte a débarqué à la capitale en 1967. « Je suis venu m’installer à Paris sans un sou et avec, pour seul diplôme, un certificat d’études. Je n’avais qu’une idée en tête : écrire un chef d’œuvre littéraire qui m’aurait permis de reconquérir une jeune fille que j’avais aimé passionnément à l’âge de 16 ans ». Une histoire d’amour que le réalisateur a sublimé avec tendresse en la faisant revivre dans le film A cause d’elle (ndlr, 1992). « Mon fils Antoine a incarné le jeune homme timide, maladroit, rêveur et cancre à l’école, que j’étais. Ce film continue à me bouleverser ».

Le cinéma de Jean-Loup Hubert : sa passion pour les voitures anciennes
Mais où se cache l’automobile dans cette histoire, comme dans tous les longs-métrages du cinéaste ? Beaucoup de films de Jean-Loup Hubert se situent dans le passé et pour lui, jusqu’au moindre détail, il est important de reconstituer la vie, la rue, la ville et ses voitures. Car le réalisateur filme la vie, celle du moment ou celle d’avant.
En y regardant de plus près, quelques éléments frappent l’enquêtrice que je suis, comme cette photo accrochée au mur, juste derrière lui dans le salon de la maison où il me reçoit et m’observe. C’est une Renault Floride rouge, utilisée sur le tournage d’A cause d’elle. Dans ce film, comme dans toute l’œuvre du cinéaste, les voitures ne sont pas prédominantes, mais elles sont choisies avec justesse : 4CV, Dauphine, Juvaquatre, Dyna Panhard, Vedette, Renault Prairie, Peugeot 203… Des véhicules disparus mais symbolisant leur époque. « D’où l’importance de ces collectionneurs privés, passionnés de mécanique, restaurant ces trésors qu’ils font rouler comme à leur première jeunesse », précise-t-ilen croisant élégamment les jambes dans son jean slim, en touillant son café avec un faux air de Clint Eastwood, un regard qui dévoile son intransigeance artistique.

Une connaissance de l’automobile qu’il applique à titre personnel ? « Pas toujours. Faute de moyens et de permis de conduire, j’ai roulé à vélo jusqu’à 32 ans ». L’autodidacte vélocipédiste a quitté la Loire-Atlantique pour monter à Paris, écrire, galérer, écrire encore, et tourner avant de croiser le succès. Une période qu’il racontera dans A cause d’elle, qui évoque ses débuts, une autobiographie encore, comme le Grand Chemin, car Jean-Loup Hubert filme ce qu’il connait le mieux, les personnes de son milieu d’origine : des gens simples « avec leurs passions, leurs histoires d’amour, une vie aussi riche dont les drames bourgeois n’ont pas l’apanage ».

D’ailleurs, avec tendresse, il se revendique cinéaste du couple, de tous les couples qu’il a formé à l’écran durant trois décennies : Isabelle Adjani et Thierry Lhermitte (L’année prochaine si tout va bien, 1981), Josiane Balasko et Victor Lanoux (La Smala, 1984), Anémone et Richard Bohringer bien sûr (Le grand chemin, 1987), Catherine Deneuve, Richard Bohringer et Bernard Giraudeau (La reine blanche, 1991), Antoine Hubert et Olivia Munoz (A cause d’elle, 1994) et Clothilde Courau et Guillaume Depardieu (Marthe, 1997)… Ainsi que le couple improbable Adriana Karembeu et Gérard Jugnot (Trois petites filles, 2004).

Des histoires d’amour, toujours, comme celle qu’il vit en ce moment. Le soleil d’hiver se faufile entre les stores à lamelles du salon et accroche le sourire du réalisateur breton qui baigne dans l’harmonie et la sérénité. « En ce moment, je suis grave amoureux. Mon moteur fondamental pour créer dans la joie et exacerber mon désir de publier des romans, des albums de BD sur le dialogue amoureux, de monter des pièces de théâtre et, je l’espère intensément, de tourner un nouveau film », poursuit-il en faisant tourner son unique bague sur sa longue main de gaucher.
- « Oui, vous l’avez bien noté. Je suis gaucher et maladroit. Mon côté Pierre Richard »
- Ou Woody Allen ?
- Un peu des deux, me répond-t-il en riant.
« Mon expérience de serveur dans la restauration aura été de très courte durée. Un plateau de fruits de mer renversé sur les genoux d’une cliente m’a valu d’être remercié le soir même ».
Alors il a préféré retourner à l’écriture et au dessin.

De « Norev » à « Dinky toys » : la mémoire automobile des enfants
Dans les souvenirs d’enfance de Jean-Loup Hubert, des images marquantes : celles des convois de troupes américaines (Jeep, G.M.C) traversant son village. « A cette époque d’après-guerre, l’influence américaine était patente : débarquées du port de Saint-Nazaire, Cadillac, Plymouth, Chevrolet, Lincoln, Pontiac… circulaient dorénavant dans les rues de Nantes ! Nouvelles coqueluches des voyous du quai de la Fosse. Ils nous en mettaient plein les yeux les américains avec leurs immenses voitures, leurs ailerons, leurs pneus à flancs blancs… Ce qu’ils ont pu nous faire rêver, nous autres les enfants ». A l’appui,Jean-Loup me sort la photo d’une Corvette avec ses ailerons et sa carrosserie bicolore.

Nostalgique, il poursuit : « Les voitures françaises paraissaient tellement ternes et minimalistes comparées à ces immenses bagnoles qui prenaient deux places de stationnement. Nous, on ne pouvait leur opposer que de pâles copies : la Versailles ou la Chambord… Les constructeurs tricolores avaient beau donner des noms de châteaux à leurs modèles, ils étaient loin de leur arriver à la cheville…». Seule la Traction Citroën trouvait grâce aux yeux du réalisateur esthète : « Pas plus sensuelle qu’une traction avant. Le dessin, ce n’est que des courbes. Il n’y a pas plus féminin que cette voiture ». Suivie de celle qui lui a succédé : la DS ! « Une révolution qui a épaté même les Américains. Une voiture comme une fusée. La sensualité plus agressive avec son capot plongeant en forme de nez de squale. Même transpercée par les balles de toutes parts lors de l’attentat du Petit-Clamart contre le Général De Gaulle, pneus crevés, la DS a continué de rouler. Un mythe ! ».

Il allume une cigarette, « comme au temps d’avant où l’on fumait sur les plateaux, dans les bureaux, les cinémas… et dans la voiture, vitres fermées, les enfants à l’arrière ». Un temps d’avant où les autos étaient plus belles aussi ! Il ne cite pas celles d’aujourd’hui, plutôt les joyaux d’antan, les Morgan, les Triomph, les MG, tous ces roadsters anglais qu’il aurait adoré piloter. Et « LA » Jaguar Type-E « cette voiture allongée comme les jambes d’une femme qui n’en finissent pas ».
Ses autos à lui ? Elles ont toujours été placées sous le signe de la famille, dès qu’il a obtenu son permis, plutôt tard, à 31 ans, « l’année de mon premier long-métrage, l’Année prochaine si tout va bien ». Son choix s’est porté sur une Volvo, pour son penchant sécuritaire, puis sur un Renault Espace, pour emporter tous ses enfants plus le chien.

Les femmes et la voiture selon Jean-Loup Hubert
« Bien que voiture comme automobile soient des noms féminins, longtemps, conduire une voiture était l’apanage des hommes. Comme un domaine réservé. Le mâle s’est toujours prévalu du droit de se moquer des femmes au volant, à tort ! Seules quelques héroïnes, féministes avant l’heure, s’y étaient risqué, considérant que conduire faisait partie de leur liberté. Les constructeurs ont bien dû s’adapter à cette nouvelle clientèle en inventant de nouveaux modèles plus féminins comme la Floride, ajoutant à leur séduction. Mais aussi des modèles pratiques adaptés aux mères de famille. Conduire les enfants à l’école, faire les courses… leur choix est plus pratique et on leur doit sans doute l’invention du coffre et du hayon arrière ! Enfin, reconnaissons-le, les femmes au volant sont nettement moins dangereuses que les hommes. Les statistiques parlent d’elles-mêmes : les femmes sont plus respectueuses de la vie, même au volant. ».
L’automobile comme prolongement de l’intime
S’il délègue le volant, il adore néanmoins conduire, seul, en ville, ou durant de longs trajets. « J’aime conduire dans Paris que je connais aussi bien qu’un chauffeur de taxi. Et, lorsque je roule la nuit sur l’autoroute, beaucoup de mes scènes de films prennent vie ». Alors le cinéaste s’arrête sur la première aire d’autoroute « pour griffonner quelques mots, quelques idées ». Pour lui la voiture est inspiratrice car on s’y sent libre et concentré à la fois. « Et c’est une formidable scène de théâtre, un plateau de cinéma où il se passe un nombre de choses infinies ». C’est aussi un nid, un prolongement de l’intimité, « où l’on vit des chagrins amoureux inconsolables qui vous font se taper la tête contre le volant, des épisodes de vomi collectif quand les enfants ont le mal des transports et que l’on doit urgemment s’arrêter au bord de la route. »
Jean-Loup Hubert : une série de dessins avec la 2CV

Facettes moins connues de Jean-Loup Hubert : sa passion pour l’écriture (Il écrit tous les scenarii de ses films et a publié « Tu » aux éditions Blanche, un roman pour dire l’amour sublimé entre deux êtres) et ses talents de dessinateur. « J’ai décidé de m’installer à Paris juste avant mai 68 avec l’illusion naïve de créer un chef d’œuvre pour reconquérir la première femme que j’ai aimé. Mais je n’y suis jamais parvenu et jeté mon manuscrit. Dans cette grande capitale où je me suis retrouvé au cœur de la Révolution – ce qui fut une vraie jouissance pour moi alors que l’âme parisienne existait encore – la première chose que j’ai réussi à vendre était un dessin d’actu pour la couverture du magazine « Rouge ». J’étais encore dans l’utopie révolutionnaire. Puis, grâce à l’amour, mes dessins et mon écriture se sont attendris ». Le réalisateur aux dons multiples a ainsi créé toute une série de dessins avec la 2CV qu’il a imaginé dragster, véhicule lunaire ou amphibie… J’ai même dessiné le fardier de Cugnot ! ».
Mais le jour décline sur le jardin du Grand chemin. Le téléphone de Jean-Loup Hubert sonne. Il décroche et bavarde, me signifiant peut-être la fin de l’interview. Je le salue d’un sourire et je m’éclipse.

Je regagne ma voiture, j’allume mes phares, je l’aperçois alors qui vient vers moi. Je baisse ma vitre. Il se penche.
- Excusez-moi d’avoir été goujat en décrochant. Je ne veux pas vous laisser partir sans vous dire que j’ai été ravi de partager ces instants de confidences avec vous.
- Moi également. Merci !
Je le salue, m’apprête à repartir. Mais il me fait signe à nouveau.
- « Dites à Anne Hidalgo et aux écolos de ne pas assassiner la voiture ».
