Lorsqu’Adrien, sportif, 35 ans, célibataire sans enfant, se déplace au volant de sa Tesla Model S, tout le monde est – sans jeu de mot – au courant. « Ce qui est bien, c’est que je vais pouvoir parcourir les 450 km d’une traite. Je trouverai bien un chargeur près de notre maison de location. De toute façon, c’est ma Tesla qui m’indique le trajet à suivre. Je serai là vers midi. A tout‘ ».

Sur notre groupe WhatsApp, nous attendons déjà plus la Tesla d’Adrien qu’Adrien lui-même : l’auto électrique focalise toute notre attention. A force de personnifier sa voiture, le disciple de Tesla commence à nous gouroutiser nous aussi. « Elle est formidable, je ne pourrais plus vivre sans elle« . Nous non plus. On ne la connaît pas encore, mais nous en sommes déjà très amoureux aussi. Une auto plus valeureuse et plus au centre de l’existence que la majorité des êtres humains, ça interpelle. Et lorsque la silencieuse Tesla Model S de quasiment 2 mètres de large se pointe, telle une grande dame vénérable, dans la petite impasse très étroite bordée de fleurs et d’arbustes menant à notre location Airbnb, nous retenons tous notre souffle. Mais sans doute pas autant que son conducteur quasi en apnée derrière le volant, et qui n’est pas d’humeur à nous adresser la moindre salutation : son magnifique salon roulant va-t-il pouvoir se faufiler sans éraflure ? Après maintes hésitations et quelques sueurs, le jeune propriétaire de l’auto qui coûte un bras (un peu plus de 80 000 euros), parvient finalement à faire rouler la prunelle de ses yeux jusqu’au portail blanc.
12.15. Mais l’heure des salutations n’a toujours pas sonné : l’immense demoiselle « épatante » de 5 mètres de long doit maintenant réussir à braquer entre les deux montants du portail, sachant qu’un muret et des arbustes limitent la marche arrière. Tout le monde retient son souffle et y va de son petit signe de main pour optimiser la manoeuvre. Le chauffeur se fie plutôt à ses capteurs de recul. Lorsque surgit une nouvelle sueur froide : l’ « admirable » auto est-elle assez haute pour franchir la butée du portail ? Adrien descend de voiture en entrouvant à minima la grande portière, et cogite à voix haute sans nous calculer : « Pas question de risquer d’abîmer mes batteries. Je vais monter la garde au sol au maximum« . D’un bond, il retourne dans sa Tesla noire tirée à quatre épingle, avec la concentration d’un Teddy Riner venu défendre son titre de champion du monde. Pour la convivialité et le bonheur de retrouver ses amis, on repassera. Mais tout le monde lui pardonne : nous sommes tout acquis, nous aussi, à la cause de l’incroyable auto électrique qui franchit enfin sans encombre la butée. Joie. Applaudissements. Adrien a enfin garé son « bijou » à côté de nos dépotoirs thermiques : sa Model S noire sur l’herbe verte du jardin, ça fait mouche. Et, en guise de bonjour, nous avons droit à un petit topo supplémentaire sur son auto.

12.45. L’heure de trinquer à notre long week-end, une coupe de champagne à la main. On parlerait bien de nos projets, des promenades à faire dans le coin. Mais Adrien, décidément fou amoureux de sa voiture électrique, nous coupe la parole pour jouer à l’ambassadeur Tesla. « En plus d’être la première voiture entièrement électrique capable de faire à peu près tous les trajets, ma Model S est aussi la première voiture semi autonome à rouler sur les autoroutes du monde entier ». Il nous explique qu’Elon Musk est un « génie, un visionnaire », bientôt le plus riche de la planète. Et ajoute qu’il ira faire les courses tout à l’heure après avoir trouvé une borne de recharge dans les parages.
13.30. Adrien file avant le dessert. Son auto a beau être facile à vivre, il est préoccupé : « J’ai localisé une borne à 5 km du supermarché. Je pars recharger ma Tesla vite fait et j’enchaîne avec les courses pour qu’on puisse partir se balader vers 15h« . A 13.40, coup de fil. C’est Adrien en panique. Et c’est lui qui nous balade. La borne de recharge est déjà utilisée par une autre auto électrisée. Il nous propose de venir le récupérer car, à pied, le supermarché est trop loin de là où il se trouve. Sa Model S n’a plus que 12% de charge… Et nous voilà partis à sa rescousse dans une bonne vieille voiture thermique. Nous récupérons Adrien en transe devant son auto. « Tout va bien, je gère, ne vous inquiétez pas« . Nous n’avions pas remarqué. Nous le déposons au supermarché à bord de nos chars polluants. « Vous devriez vraiment songer à acheter une auto électrique vous savez. Vous seriez plus heureux« . A n’en pas douter. Un peu nerveux nous aussi en voyant tourner les heures et notre samedi un tantinet gâché, nous l’attendons sur le parking. Puis nous le raccompagnons gentiment aux pieds de sa Tesla qu’il peut enfin brancher. « Partez vous balader sans moi. Je vous rejoindrai dans une petite heure, le temps que j’arrive à 50% d’autonomie. » Heureusement que sa « merveilleuse » Tesla est facile à vivre, sinon ce serait un cauchemar.
16.30. Adrien nous rejoint enfin après nous avoir appelé plusieurs fois pour nous localiser. 16.45. Adrien doit repartir jeter un oeil à sa Tesla. Son smartphone l’avertit qu’une porte était restée ouverte. « J’en ai pour 5 minutes. Je vous rejoins« . Et voilà qu’Adrien cavale, inquiet, jusqu’à son carrosse. 17.15. Le revoilà parmi nous, blanc comme un lavabo. Mais il n’en démord pas. Il est avant-gardiste comme sa Tesla. Et nous, nous ne sommes que des ringards. « J’ai déjà commandé le Cybertruck. Tellement futuriste. Je serai encore plus avant gardiste ». Et toujours aussi galère à vivre apparement.
Et pas question qu’une auto lui fasse de l’ombre. Surtout pas cette Maserati Ghibli qui se gare à côté de sa Tesla et que l’on trouve jolie elle aussi. « Elle, je la laisse dans le vent à l’accélération. Je fais le 0 à 100 km/h en 4 secondes. Avec cette impression de décoller comme dans Space Mountain. Ma Model S est tellement mieux, sur tous les plans ».

Le dimanche est quasiment un copier-coller du samedi. Dans les discours et dans les faits. A ceci près qu’Adrien est encore plus angoissé : il doit à nouveau trouver une borne avant de repartir pour ses pénates, à 500 km d’ici, le soir. Je l’accompagne pour le soutenir dans ses névroses et tester sa voiture dont il ne me laisse finalement pas le volant. « Attends, j’ai une idée. Regarde, il y a un chantier par là. Je vais utiliser leur prise même si ce n’est pas légal. Personne ne m’en voudra. Il ne me reste que 10% d’autonomie ». Adrien gare sa voiture en travers, déniche la prise du chantier en cours et branche sa Tesla après avoir enfilé capuche et lunettes noires, tel un pro du GIGN. « Voilà. Descends discrètement de ma Tesla. Personne ne remarquera rien ».
La fin du week-end ne fut qu’allers-retours entre notre location Airbnb et son auto. « Je dois m’assurer que personne n’ira me dénoncer à la police. Ce serait con que je paie une amende de 130 euros alors que mes pleins sont habituellement gratuits« . Et ce qui devait arriver arriva : « Mince, y’a un type qui regarde bizarrement ma voiture. Je crois qu’il a repéré mon manège« . Et si c’était simplement ce modèle exceptionnel que le monsieur admirait ? Adrien ne pense même pas à cette possibilité et débranche sa Tesla en moins de deux. Puis trace sa race sans nous dire adieu. « Je vous écris un message en vocal depuis ma Model S. A bientôt les amis. Merci pour le week-end. C’était génial« . Moins que le nôtre Adrien…
Une chose est sûre maintenant : aucun de nous n’est prêts à acheter une auto électrique. Aussi ravissantes et performantes soient-elles.
Par Anne-Charlotte Laugier