Marc est l’un de mes bons amis. Je le connais depuis mon école de journalisme à Paname. Il a toujours la banane, il est cultivé, drôle et sacrément gentleman. A en ouvrir la portière aux dames pour qu’elles s’installent. Et moi (j’entends hurler les féministes), j’aime bien ça. Ce doit être mon côté vieux jeu à moi.

La journée se passait à merveille. Marc parlait philosophie avec nous, jouait à Colin Mayard avec sa fille et donnait des graines à ses poules. En plus, il a bon goût puisqu’il vient de faire l’acquisition d’une jolie MX-5 rouge qu’il me présente sous l’abri au fond de son jardin. « Ça te dit de faire un tour ? ». Volontiers. Comment refuser d’être conduite par le sosie de Jude Law ?

Marc m’ouvre la portière comme il se doit, s’engouffre à son tour derrière le volant. Puis met la clef dans le contact. « Ils n’ont pas intérêt à me gonfler sur la route, sinon je vais tous les déchirer tous ces cons qui savent pas rouler ! ». Je me pince tellement je n’y crois pas. Mais c’est bien lui, mon Marc, mon Jude Law jadis poète, qui parle comme Joey Starr.

Chocking. Premièrement, je n’avais jamais entendu mon meilleur pote parler comme une poucave. Deuxièmement, je ne l’avais jamais vu revêtir sa cape de justicier de la route (en un claquement de doigt façon Clark). Genre moi je suis Dieu, vous autres des moins que rien. Et encore, c’est beaucoup.

Au point mort , Marc me décevait déjà terriblement. Nerveux, en transe, à vociférer sur des scènes imaginaires. Mais la première enclenchée, ce fut encore pire : m jekyll et mr hyde était parmi nous.

J’aurais franchement dû sauter de la voiture ou le raisonner. Mais impossible d’en placer une. Mon Marc que j’aime tant me collait déjà au siège en faisant une queue de poisson à un pauvre monsieur qui avait osé freiné en descente. « Ça lui apprendra à celui-là ! Qu’il aille repasser son permis. Inutile de freiner quand ça descend, c’est dangereux en plus vu comment je le collais« . J’aurais bien aimé expliquer à Marc qu’il n’avait pas à se prendre pour Niki Lauda sur une route de campagne limité à 90, ni à chercher l’aspiration en lui collant au train, d’autant moins que le bonhomme qu’il injurie tant se trouve au volant d’une hybride rechargeable qu’il tente justement de recharger en freinant… Mais comment contrer un tel moulin à parole qui ferait mieux d’écrire des scénarios ou des thrillers plutôt que de conduire sur de vraies routes avec de vrais arbres et de vrais gens ?

C’est simple. Aucune possibilité d’en placer une. Et pourtant, Dieu sait si je suis une pipelette invétérée.

Mon gentil Marc est devenu l’ombre de lui-même. Un Dark Vador de la route qui commente maintenant les clignotants des autres automobilistes. Un classique. Mais revisité par mon pilote en furie : « Je vais lui foncer dedans à çui-là ! Il va la laisser au garage sa caisse pourrie ! Ça évitera qu’il tue des gens« . Marc, prêt à tuer lui-même, klaxonne, accélère, manque de freiner à temps et d’emboutir une nana affolée au volant de sa Fiat 500. « Evidemment, une fille dans un pot de yaourt, ça fait prout ! Elle a fait exprès la garce ! ». Encore une facette de mon si cher ami, d’antan charmant et civilisé, que je ne connaissais pas.

Je parviens à lui placer un timide « Tu peux te garer là-bas, j’ai une course à faire » qu’il entend à peine, toujours rongé par ses délires de parano-justicier. L’info est finalement remonté dans son cerveau reptilien, puisqu’il donne in extremis un violent coup de volant à la fois pour se garer en créneau avant et pour empêcher un pauvre cycliste de le doubler par la droite. Et là, Marc le Punisher descend sa capote et sort son poing au malheureux deux roues qui, prenant peur, fait demi tour en pédalant plus vite que Neil Campbell, le recordman du monde de vitesse à 280 km / h sur l’aérodrome d’Elvington.

Je ne sais pas si ce sont les yeux exorbités de Marc qui m’ont dissuadée de lui dire tout ce que j’avais sur le coeur, mais j’ai répondu un mignon « Attends-moi, j’en ai pour 5 minutes » plutôt qu’un définitif « Ciao, le retour dans ta machine infernal c’est sans moi, je préfère rentrer en stop ou même à pince avec mes Stiletto plutôt qu’avec un déglingo de ton espèce ». A mon grand regret car le retour au bercail dans sa MX-5 rouge sang fut pareil, sinon pire.

Par Anne-Charlotte Laugier