Et si le début de la pénurie d’essence que l’on vit actuellement était un parfait résumé de la manière très française de se saisir d’un problème ? Ne partez pas : je vous explique. Voilà plusieurs jours que les queues s’allongent devant les stations service encore approvisionnées. Et plusieurs jours aussi que celles qui sont en rupture sont totalement fermées. Dans les Hauts de France, les cars scolaires sont à l’arrêt et à Paris, la moitié des stations Total sont bouclées, faute de carburant. Autour du périf, plus moyen de faire le plein. Bref, la disette d’essence sévit et on en connaît les raisons : TotalEnergies est débordé par le succès de ses 20 centimes de rabais par litre. Et plusieurs de ses raffineries sont bloquées par le personnel en grève.
Essence : la France bloquée dès la semaine prochaine
Résultat : le pays risque d’être bloqué dès la semaine prochaine, faute de carburant, puisque le pic de consommation, et d’afflux dans les stations, se fait généralement le samedi, donc ce week-end. De quoi paniquer un tantinet. Sauf que, plutôt que de tenter de sortir du guépier, que font les syndicats, le gouvernement et les dirigeants de Total ? Ils regardent ailleurs. Ou plutôt, ils se targuent de déclarations optimistes pour les uns, et de statu quo pour les autres. Pour Olivier Véran, porte-parole du gouvernement, « il n’y a pas de pénurie, tout juste des tensions dans 12% des stations ». Une paille quoi. Pour la direction de TotalEnergies, ce n’est même pas une tension, c’est un rayon de soleil. « Il n’y a pas de manque de carburants car nous avons constitué des stocks et procèdons actuellement à des imports réguliers ». Circulez (si vous pouvez) y a rien à voir. Enfin, côté syndicats, les choses se passent comme d’habitude : on bloque d’abord, et on discute après.
Total : 5,7 milliards d’euros de bénéfice au 1er semestre
On peut accabler la CGT à l’origine du conflit, mais on peut aussi renvoyer dos à dos la direction et la confédération, tous deux incapables de se réunir autour d’une table et de discuter sérieusement. Total a enregistré 5,7 milliards d’euros de bénéfice au seul deuxième trimestre de cette année. Et le personnel réclame une augmentation, appuyant sur cet argument juteux et sur l’inflation qui sévit en ce moment. Les dirigeants de Total ont fait mine d’entendre, et proposent 3,5% de hausse quand les salariés en souhaitent 10%. Et depuis plus d’une semaine, on en reste là : on bloque d’un côté, on fait la sourde oreille de l’autre et les automobilistes n’ont qu’à prendre leur vélo, ça leur fera du bien.
Essence : langue de bois ou tentative de calmer le jeu
Cette surdité dans les échanges entre les partenaires sociaux, une spécialité française, est cette fois-ci magnifiquement couronnée par un déni de nos dirigeants. Déni, langue de bois ou tentative de vouloir calmer le jeu ? C’est plutôt à ce dernier exercice auquel s’est livré Olivier Véran en récusant le terme de pénurie. Son objectif est bien évidemment de convaincre les automobilistes de ne pas se précipiter pour faire le plein. Car ce ne serait qu’une manière d’aggraver le manque d’essence. Sauf que personne n’est dupe. Et que le gouvernement prend les Français pour des enfants. De leur côté, la direction de Total et les syndicats jouent quant à eux réellement à un jeu enfantin. Leur jeu favori ? « Je boude jusqu’à ce que je gagne », et « tu ne toucheras pas à mon argent ». La France sociale est une vaste cour d’école.
Photo de Une @Christophe Simon